Ne me prend pas en photo.
4 novembre 2018Non, range ce cruel instrument qui capture les âmes. Stop… Arrête.
Pourquoi? Tu me demandes pourquoi je ne te laisse pas me prendre en photo ? Mais pourtant c’est évident, regarde-moi.
Regarde ces yeux fatigués, ce teint terne, ces cheveux en bataille, ce visage marqué, cette poitrine inégale, ce ventre trop visible, ces hanches, ces jambes trop courtes, ces pieds trop grands, ces…
Enfin, je ne vais pas continuer la liste, mais maintenant tu le vois, non, que ca ne va pas ?
Tu le vois, ce monstre que je vois dans chaque vitrine, chaque fenêtre, chaque reflet de ma personne ?
C’est lui, ce monstre, mon corps, que je refuse de t’exposer. Il est hideux, et si c’est ce que je vois, alors c’est ce que les autres voient également.
Tu insistes, tu veux une photo.
Bon, très bien, je cède, mais je reste sur ma moto.
Et ne prend pas mon visage.
Non, j’insiste.
Bon, d’accord, mais laisse moi ne montrer que mes yeux. Eux, ne mentent pas, eux sont la porte de l’âme, et te diront mon histoire.
…Eux, peuvent me résumer, mais pas mon corps, pas mon faciès.
Je le leur interdit.
Alors te voilà face à moi, objet d’angoisses et de terreur, celui qui va enregistrer sur quelques octets une empreinte de ma personne, celui qui va capturer mon âme, ton objectif. Je le regarde furtivement, détourne les yeux, fixe le paysage, puis le vide.
Et je reviens vers toi. Ce manège dure quelques instants, jusqu’à ce que j’arrive enfin à te regarder droit dans l’œil, non pas sans craintes, mais pleine de doutes. Que vas-tu montrer de moi aux autres ? Comment vas tu me percevoir…?
…Ai-je fait le bon choix ?
Et soudain, je l’aperçois, caché jusqu’à maintenant derrière toi. J’aperçois un sourire. Un beau sourire, un grand sourire. Celui qui regarde à travers ton œil, et me regarde à mon tour. Celui qui choisit ce qu’il montrera ou non de moi.
Tu me fais moins peur, maintenant que je vois ce sourire. Celui de celle qui veut me capturer l’âme.
…D’accord, appuie sur le déclencheur.