Des rires, du sang et des larmes.
19 décembre 2018Mardi 11 décembre 2018
Il est 13h passé, il fait beau, et je retourne au travail, enthousiaste.
J’ai une voiture à ma gauche, et une autre devant moi.
Celle située à ma gauche accélère, pour dépasser l’autre.. Elle réussit
non sans peine, et en gage de réponse à sa galère, pile brusquement. Le
véhicule désormais entre nous fait de même, obligatoirement…
Forte de ma micro-expérience de ces 7 derniers mois à moto, en voyant leur manège se faire, j’avais pris mes distances.. Grand bien me fait, car je m’arrête sans problème à 2/3m de la voiture devant moi.
Je souffle, carton évité.
Puis j’entends des freins crisser, un gros « BOUM« , et sens ma moto partir en avant, sans que je ne puisse l’arrêter..
En une fraction de seconde, j’ai le choix entre partir à gauche sous les voitures, tout droit dans le coffre devant moi, ou à droite sur le trottoir, large de plusieurs mètres, et bordé d’une rambarde en métal.
C’est sans doutes la solution qui m’a parue la plus sûre, et c’est pourquoi j’entraîne avec moi ma belle sur ma droite.. Elle percute le trottoir, et alors qu’elle le longe en collé-serré, nous sommes séparées.
Black out.
J’avance dans le vide. Puis je sens mon corps s’écraser contre une surface dure.. Mon bras, et plus précisément mon épaule, se coince entre deux barreaux de la rambarde contre laquelle j’ai atterris. L’énergie cinétique n’a pas fini de se dépenser, et bien que je sois déjà bloquée par le mobilier urbain, je sens une force m’écraser encore plus contre la barrière du pont sur lequel j’étais en train de rouler quelques secondes plus tôt. J’ai mal.
Mon corps retombe.
Je me redresse, je suis perdue …étourdie.
Black out
La première chose que je vois, c’est ma monture, sur le flanc, allongée contre le trottoir de béton à quelques mètres de moi. Je titube jusqu’à elle, et mon cerveau relance la course folle de mes pensées, jusqu’alors interrompue. Elle est à terre. J’ai mal.
… Qu’est ce qu’il s’est pass..? Je percute. …Nous avons eu un accident.
Je tourne la tête, et hurle sur cet homme bien habillé, qui descend de sa voiture, cabossée, et que j’identifie immédiatement comme cause à la situation.
Il s’excuse, me dit qu’il est motard, qu’il a voulu freiner mais en vain, qu’il était trop tard. Il est désolé. Sincèrement désolé. Il s’en veut.
Mais moi, là, j’en ai rien à foutre qu’il soit motard, danseuse étoile ou clown à temps partiel. Ma moto est à terre. Et j’ai mal.
Dans le flou des émotions, je suis noyée d’adrénaline; une femme arrive, et me parle. Elle me demande comment je vais. Je lui répond que je ne sais pas, que je tiens debout, mais que ma moto est à terre.
Cette idée m’obsède.
J’appelle mon homme, dans une bulle de calme totalement improbable. « Allô ? Je vais bien, mais j’ai eu un accident. Rejoins moi, prend ta moto, je .. Je ne sais pas quoi faire.
– J’arrive. » – Mon cœur se réchauffe.
Un motard s’arrête, et d’autres suivront. Des visages flous et bienveillants s’adressent à moi, et redressent ma belle, pendant que j’essaye de digérer ce qu’il vient de se passer….
Et je prend conscience d’une chose, que je savais, mais que je n’avais apparemment pas intégré :
Après la rambarde contre laquelle je me suis éclatée, il y avait le vide, le vrai. Et après le vide, il y avait la rocade, et ses visiteurs roulant à 110 km/h au lieu de 90.
Sur cette portion de rocade, si j’avais basculé, je serais probablement morte écrasée avant que quelqu’un ne remarque ma chute. En considérant que j’aurais pu survivre à la chute.
Retour à la réalité.
Je regarde ma Noireaude, redressée sur sa béquille. Le temps accélère, les gens partent et viennent. Je fais la circulation pour réguler le trafic de mon propre accident, et me fait allègrement klaxonner par les passants.
Pardon d’avoir eu un carton à moto, que je leur hurle, furax.
Mon homme arrive, prend le relais avec l’automobiliste, toujours en train de s’excuser. Ni l’un ni l’autre n’a de constat. Un motard, qui transporte du sang et des organes et que je croise souvent sur le chemin du boulot aura la gentillesse en passant de nous donner un des siens. Solidaires jusqu’au bout, les deux-roues. Merci à lui.
On essaye de démarrer la belle, elle refuse. Je commence enfin à paniquer activement.
Non, pas ca, que je me répète en essayant vainement de jouer avec le coupe circuit. Démarre, bon sang, démarre. Pitié. Mon anxiété me sourit. Toi, casse toi, c’est pas le moment.
Allez, démarre bordel de merde. J’abandonne, et mon homme prend le relais.. La première était bêtement enclenchée. Il repasse le neutre, appuie sur le démarreur, elle ronronne. Gros soupir de soulagement…
Nous nous déportons jusqu’à un parking proche à une centaine de mètres, pour faire les papiers et appeler nos employeurs…
L’atmosphère se détend un peu, même si mon anxiété reste dans un coin, à attendre le moment opportun pour me déclencher une crise… Saloperie.
Le conducteur de la voiture me regarde, et d’un sourire désolé touche la plaque de ma Noireaude et me lance : » .. Mais en fait, je voulais vous rendre service avec les radars, et ça a dégénéré.. « .
Je souris, fatiguée. Toi, t’as plié ma moto, mais au moins t’es un mec bien, t’es sincèrement désolé, et tu fais de ton mieux pour que j’arrive à tirer un sourire… Merci.
La suite, est classique : nous ramenons la belle au garage de nos amis, appelons un médecin, l’assurance, et lançons les procédures.
Depuis, je repasse le film de l’accident en boucle.
J’essaye de voir ce que j’ai pu manquer, oublier, comprendre si j’avais une possibilité de l’éviter. Il semblerait que non. On ne peut pas forcer quelqu’un à avoir les bonnes distances de sécurité.
Est-ce que cet événement m’a traumatisée? Non.
Par contre, il m’a appris que j’aimais sans doutes « trop » ma belle. C’est ce qu’on m’a dit le plus, « Tu devrais te détacher de ta moto, ce n’est qu’un objet… Je sais que c’est ta première, mais tu ne dois pas te mettre dans des états pareil pour elle, c’est une machine. » .. Même si je le refuse en mon for intérieur, je sais qu’ils ont raison.
Et on me dit bien-sûr de prendre le temps de me soigner.
Mais moi, je ne pense qu’à une chose… Remonter sur ma moto.
Avec l’accident, forcément, mes proches s’inquiètent pour moi. Ils ne comprennent pas forcément pourquoi je suis si pressée de me remettre en selle.. « Mais tu as failli mourir, tu as eu énormément de chance de t’en sortir avec si peu de blessures !« .
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Oui, j’ai failli mourir. Oui, j’aurais pu/du terminer en contre bas sur la rocade, écrasée par une voiture. Oui, j’ai mal. Mais je suis toujours là. Et ma passion aussi.
Parce que c’est aussi ca, la vie motarde.
Ce n’est pas fait que de voyages, de belles photos, de kilomètres et de cuir.
La vie de motard-e, ce sont des bleus, du sang et des larmes. De la tôle froissée, pliée, arrachée. Des machines à l’agonie sur le bord de la route, des motard-e-s roulés en boule à côté, le coeur ou les os brisés.
C’est un prix que personne n’espère payer un jour, mais qui menace chacun et chacune d’entre nous.
C’est une réalité dont on doit être conscient lorsque l’on grimpe sur une moto.
Mais la vie motarde, c’est aussi la rage au ventre, le coeur enflammé et l’impatience qui nous possède, dans l’attente interminable du retour en selle.
La pratique de la moto, ce sont des blessures à l’âme et au corps, et le baume pour les soigner. C’est la mort, mais c’est aussi la vie.
Certains nous pensent fous, à poser volontairement nos fesses sur un moteur lancé pleine balle sur les routes, sans autre protection qu’un casque et trois bouts de cuir. Et ils ont probablement raison.
Mais cette folie, je n’y renoncerai jamais. …Jamais.
N’oubliez pas, que tout ce qui meurt a un jour vécu.